Le ALL ON FOUR au maxillaire, la preuve par neuf

Préambule : la décision thérapeutique
Le all on four est une approche centrée sur le patient qui s’inscrit dans le courant contemporain de la médecine fondée sur les valeurs : «Values-based medecine ».
La dentisterie basée sur des Valeurs vient enrichir l’ Evidence-Based Medecine (médecine fondée sur des preuves) en introduisant entre la preuve scientifique et le patient, un filtre humain reposant sur l’expérience du praticien et les attentes du patient.
Cette approche contemporaine de la médecine s’appuie évidemment sur les données de la recherche, mais elle considère que ces dernières ne s’imposent pas au médecin et que la meilleure décision thérapeutique sera celle qui sera conforme aux valeurs du patient et de l’équipe soignante.
Nous savons bien que devant une situation clinique complexe, LA solution thérapeutique ne s’imposera pas comme une évidence et qu’il faudra faire un choix.
La médecine fondée sur les valeurs exprime la nécessité d’explorer ce qu’il y a d’unique en chaque patient et en chaque situation.
Cela remet en cause l’aspect dictatorial que pourraient prendre les données de recherche scientifique au moment de la décision thérapeutique, du type « faute d’évaluation à haut niveau de preuve, point de traitement ».
Les résultats des essais cliniques à haut niveau de preuve sont alors considérés à leur juste place : INFORMER le praticien tout en le laissant libre de faire un autre choix thérapeutique en adéquation avec son sens clinique et les attentes du patient.

1) Aspect psychologique, rapport bénéfice risque

Le patient édenté total ou en passe de le devenir est un amputé, un invalide oral (dixit Branemark).
La réhabilitation du patient édenté total ne peut s’exonérer de la dimension humaine de toute relation thérapeutique, du sens clinique du praticien, de son empathie, de sa compassion…
Derrière chaque bouche, chaque délabrement parodontal, chaque édentement il y a une histoire, un vécu, des échecs thérapeutiques passés, parfois des humiliations et maintenant que le patient est là …des attentes !
C’est plus que tout, le moment d’être attentif aux valeurs du patient.

C’est en répondant aux attentes du patient que le rapport bénéfice risque penchera irrémédiablement en faveur du bénéfice.
D’autant que le risque évalué par les d’études cliniques à propos du ALL ON FOUR maxillaire est particulièrement faible :
– 1995 BRANEMARK : taux de survie à 10 ans identique qu’il y ait 4 implants ou 6 implants
– 2019: Maló P : jusqu’à 13 ans de suivi, le taux de réussite prothétique est de 99,2%; Le taux de survie et de succès cumulé des implants est de 94,7% et 93,9%, respectivement.
Malgré ces taux de succès élevés et l’importante satisfaction des patients, le All on four au maxillaire peine à s’imposer dans la communauté scientifique française. Alors que les spécialistes des statistiques perçoivent les résultats des essais cliniques comme des présomptions scientifiques avec un faible niveau de preuve, il est probable que le principal handicap au développement du all on four soit le défi culturel qu’il représente.

Conduire des essais cliniques dans notre spécialité se heurte à un nombre important d’obstacles : pas de temps, pas de financement, méthodologie lourde…
Les praticiens ne sont pas des chercheurs.
Le All on four étant pratiqué par des cliniciens peu rodés aux protocoles d’essais cliniques de l’Evidence-Based Medecine, le niveau de preuve du all on four maxillaire reste irrémédiablement faible dans les publications, malgré la multitude d’études de cas, positifs à bien des égards :
-taux de succès élevés,
-fort impact humain avec haut niveau de service rendu et satisfaction patient importante,
-engagement passionné des chirurgiens-dentistes qui pratiquent le concept …

Mais l’absence de publications à haut niveau de preuve dans la littérature ne signifie pas que ça ne marche pas. Il ne faut pas confondre absence de publications et inefficacité !
Ce sont souvent des limites méthodologiques qui brident les règles des essais cliniques et il est fréquent d’observer que le processus d’innovation ne respecte pas la règle.
Alors, lorsque la qualité de vie des patients est fortement affectée, il faut se poser la question de la légitimité des statistiques à imposer froidement des décisions médicales.

Dans ce contexte à fort impact humain, une approche basée sur les valeurs trouve toute sa légitimité d’autant que les connaissances validées par la science ne cessent d’évoluer et l’on peut considérer qu’au temps « t » elles sont nécessairement incomplètes.
Les dogmes d’un jour sont à jamais oubliés lorsqu’une innovation apporte une réussite pragmatique. « Enfouir les implants est une condition indispensable à l’ostéointégration » disait Branemark il y a quarante ans !

Prendre en considération UNIQUEMENT les solutions thérapeutiques ayant bénéficié d’une publication à haut niveau de preuve, c’est ignorer un pan entier de la dentisterie : les séries de cas, les accords professionnels, les essais cliniques peu puissants, les études rétrospectives, beaucoup de découvertes et d’innovations à leur début …
Se priver de ce domaine de connaissance, c’est risquer de se limiter à une pratique sans génie.

2) Définition du « all on four »
Le concept all on four est caractérisé par les principes suivants :
-éviter d’avoir recours aux techniques de greffes et diminuer les temps de traitement et les coûts
-minimiser le nombre d’implants afin de réduire les risques chirurgicaux et la morbidité
-réduire la taille du cantilever distal sans compromettre pour autant la fonction
-et enfin permettre la mise en fonction immédiate d’un bridge complet vissé esthétique et fonctionnel.

3) Une technique décrite par BRANEMARK il y a 35 ans
Le All on four au maxillaire est ancien dans son principe et moderne dans sa mise en œuvre.
1985 BRANEMARK, ZARB, ALBREKTSSON (Les prothèses osteo-integrées quintessence publishing) :
« il est possible de limiter la pose des fixtures à la zone comprise (…)entre les parties antérieures des cavités sinusiennes au maxillaire supérieur. Des bridges en extension (cantilever) peuvent être alors réalisés pour établir une denture prothétique fixée. Un minimum de quatre fixtures, (….), est suffisant (…..) Cependant, si la topographie le permet, par sécurité, six fixtures sont recommandées, en effet il est toujours possible qu’un des éléments d’ancrage ne s’intègre pas ou qu’une défaillance mécanique se produise. »
Il y a 35 ans, la possibilité de réhabiliter le maxillaire avec seulement 4 implants lorsque le volume osseux ne permettait pas d’en poser plus, était déjà considéré par Branemark comme une option thérapeutique valable en alternative aux greffes osseuses.
Même si le concept actuel du all on four a bénéficié d’avancées dans le domaine de l’accastillage prothétique tels que les piliers angulés permettant de réaliser des prothèses sur des implants inclinés, ou bien de connaissances permettant de maitriser la mise en charge immédiate, les fondements du All on four se trouvent déjà dans cette publication de Branemark.
Par la suite, c’est Paulo Malo qui définira précisément le concept au travers de nombreuses publications en commençant par la mandibule puis le maxillaire depuis 2005.

4) Les indications du All on four

La réhabilitation du MAXILLAIRE totalement édenté ou en passe de le devenir, s’avère difficile à cause de la mauvaise qualité osseuse et d’un volume osseux insuffisant, surtout dans les secteurs postérieurs.
Le All on four trouve son indication dans les traitements des maxillaires atrophiés, en alternative à une augmentation des volumes osseux soit par greffe soit par régénération osseuse guidée.
Se limiter à quatre implants rend la technique agile et adaptable à tout type de résorption osseuse.
Selon le volume osseux disponible des variantes du all on four classique seront envisagées : implants trans-sinusiens, implants zygomatiques avec soit 4 implants à ancrage zygomatique soit un all on four hybride : deux implants postérieurs zygomatiques et deux implants antérieurs à ancrage crestal.
Dans ces circonstances, le all on four en proposant une réhabilitation fixe, mise en charge immédiatement, avec un temps de traitement court, relativement peu invasive comparée à des protocoles de greffe étendue, apporte une réponse à des situations cliniques qu’il faudra évaluer en fonction du patient dans sa globalité : son âge, son état de santé générale, ses antécédents, ses attentes, les enjeux sociaux et psychologiques (temporisation ?), son budget, sa souffrance (psychologique) face la perspective de perdre ses dents ou de porter une prothèse amovible…
L’indication du All On Four au maxillaire est toujours une discussion entre différentes options thérapeutiques et la prise en compte des valeurs du patient orientera la décision.

5) 4 implants, seulement !
En pratique, le All On Four nous apporte une solution relativement simple à mettre en œuvre en cas de maxillaire atrophié lorsqu’il n’est pas possible de poser plus de quatre implants.
Néanmoins simple ne signifie pas facile et la simplicité du concept renforce le niveau d’exigence qu’il convient de mettre en œuvre à chaque étape pour assurer le succès.
Réduire le nombre d’implants permet de traiter des patients avec peu de volume osseux sans que les implants n’entrent en conflit tout en laissant autour des implants des espaces osseux favorable à la biologie.
Cela permet aussi de simplifier la réalisation prothétique. Avec un nombre réduit d’implants il est plus simple d’obtenir une armature passive. Il est aussi plus simple pour le patient d’assurer un nettoyage dans la mesure où la distance entre les piliers implantaires est plus grande.
Le projet de poser seulement quatre implants au maxillaire a été conforté par des observations biomécaniques in vitro et in vivo.
Sur une reconstruction totale, ce sont les implants les plus antérieurs et les plus postérieurs qui supportent l’essentielles des charges indépendamment du nombre d’implants intermédiaires.
Pour une distance donnée entre l’implant antérieur et l’implant le plus distal, la charge supportée par l’implant le plus distal (qui est toujours l’implant supportant la charge la plus élevée) est indépendante du nombre total d’implants reliés au bridge.
Ainsi, une distribution favorable des forces occlusales sur une reconstruction complète peut être obtenue avec seulement 4 implants : 2 antérieurs et 2 postérieurs.

6) Intérêt des implants obliques
Au maxillaire, placer un implant long obliquement en avant de la paroi antérieure du sinus maxillaire satisfait l’objectif de repousser l’émergence de cet implant le plus distalement possible sans nécessité de recours à un comblement sinusien.
Cela permet d’augmenter la distance entre les implants antérieurs et postérieurs afin d’offrir une base d’ancrage mécaniquement fiable au bridge immédiat.
En conséquence, l’étendue de l’extension distale du bridge s’en trouve réduite. Le cantilever ne doit pas dépasser l’équivalent de 2 dents : 20 mm (Consensus EAO 2018). En réduisant la longueur du cantilever l’implant incliné permet de diminuer le stress osseux autour du dernier implant et de prévenir les problèmes prothétiques tels que fracture de vis ou d’armature, souvent associés à des cantilevers trop longs.
Se pose alors la question de savoir si l’inclinaison de l’implant affecte le processus d’ostéointégration et le maintien à terme du niveau osseux marginal autour des implants.
La possibilité de placer les implants inclinés a été reconnue comme une approche fiable qui n’affecte pas le processus d’ostéointégration ni le maintien du niveau osseux marginal à long terme. Il n’y a pas de différences significatives entre les implants inclinés et les implants droits en terme de taux de survie à moyen terme ou de perte osseuse marginale ( consensus EAO 2018)
L’angulation des implants permet aussi d’utiliser des implants longs afin d’assurer une bonne stabilité primaire par ancrage dans l’os basal situé entre les fosses nasales et le sinus compatible avec la mise en charge immédiate.

7) La mise en charge immédiate des implants

La mise en fonction immédiate est conditionnée par l’obtention d’une stabilité primaire des implants suffisante. En pratique celle-ci est évaluée par le couple d’insertion de l’implant estimé idéal autour de 30 N/cm.
Cette stabilité primaire est dépendante de :
– La qualité osseuse
– La séquence de forage en adéquation avec les dimensions de l’implant
– La forme et la longueur de l’implant
Mais la stabilité de l’ensemble du système est aussi acquise grâce à l’architecture en pyramide du All on Four. En effet, l’agencement tridimensionnel des implants posés selon les axes de force naturels de l’os maxillaire, convergents vers un sommet se situant proche de l’épine nasale, constitue une base mécaniquement stable dans son ensemble.
Le système constitué de 4 implants placés en pyramide, verrouillés à leur base par un bridge provisoire est plus stable que les implants indépendamment soumis aux forces d’occlusion.
La mise en fonction immédiate permet de s’affranchir des inconvénients d’une temporisation par prothèse amovible, c’est un élément important qui participe au succès et influence souvent la décision du patient.
Une prothèse amovible posée juste après la pose des implants est souvent inconfortable, difficile à accepter psychologiquement et risque d’interférer avec les processus d’intégration osseuse de l’implant par des contacts difficiles à contrôler entre l’implant et l’intrados de la prothèse.
La réduction du nombre d’intervention et le gain de temps corrélés à la mise en fonction immédiate des implants, concourent à la satisfaction et au confort du patient.

8) Le Bridge provisoire

Les dents absentes ou délabrées, les prothèses adjointes inadaptées, les crêtes résiduelles très résorbées, la perte de toutes références occlusales valables, rendent la situation clinique complexe par absence de repères fiables.
Un projet prothétique sera au préalable élaboré afin de guider la réalisation du bridge provisoire sur implant.
La réalisation d’un bridge complet sur implants, répond aux mêmes impératifs que ceux qui guident l’élaboration d’une prothèse complète amovible.
Le projet prothétique pourra être matérialisé grâce à la réalisation d’une prothèse complète amovible que l’on pourra qualifier de prothèse guide. Ce projet peut être numérique.
Cette prothèse permet de restaurer et de transférer le rapport intermaxillaire, le support des lèvres, et les aspects esthétique et fonctionnel du montage dentaire.
Le jour de la chirurgie la prothèse guide, sera utilisée comme guide de chirurgie, comme base d’occlusion lors de la prise du rapport inter-maxillaire après pose des implants et enfin comme maquette pour transférer au prothésiste le montage esthétique et le RIM permettant la réalisation du bridge provisoire.
Le bridge provisoire est nécessairement vissé et fibré afin d’en augmenter la résistance qui est le point faible lié au caractère provisoire du matériau de ce bridge.
Du point de vue mécanique les forces d’occlusion seront soulagées sur la partie postérieure du bridge : le bridge provisoire ne comportera pas de cantilever et les points d’occlusion seront privilégiées entre 13 et 23.

9) Apport des implants zygomatiques
Dans les formes de résorption particulièrement sévères du maxillaire il n’est pas possible de trouver un volume osseux pour placer suffisamment d’implants, avec une distribution correcte sur la crête osseuse.
En alternative aux greffes osseuses, il est alors possible d’envisager un ancrage implantaire dans l’os zygomatique. L’apex de l’implant est situé dans l’os zygomatique en respectant les obstacles anatomiques essentiels dans cette région : cavité orbitaire et fosse ptérygo maxillaire.
Diverses approches chirurgicales ont été proposées, le challenge étant d’éviter les risques de sinusites inhérentes au passage intra sinusien de l’implant zygomatique et in fine de placer des implants avec une émergence crestale compatible avec la réalisation d’un bridge esthétique et fonctionnel.
L’approche juxta maxillaire décrite ici permet de traiter des formes d’atrophies du maxillaire très variées allant d’une paroi latérale du maxillaire plate jusqu’à très concave, tout en préservant une émergence implantaire compatible avec un couloir prothétique classique.
Cette situation clinique permet la réalisation de prothèses vissées peu encombrantes, compatible avec la phonation et l’hygiène.
L’ostéotomie vestibulaire, permet de conserver un contrôle visuel direct de la membrane du sinus pendant toutes les phases de l’intervention. Cet abord chirurgical facilite le respect de la membrane et contribue à réduire les risques de sinusites.
Selon l’anatomie de la paroi externe du sinus (ZAGA), l’implant aura un passage intra maxillaire plus ou moins marqué qui guidera la nécessité de pratiquer une osteotomie de la paroi externe du sinus : le fraisage de la paroi externe du sinus aura la forme de l’implant afin que l’implant lui-même obture cette ouverture afin de minimiser les risques de contamination sinusienne.
Une fois exposée, la membrane est délicatement réclinée afin de ménager l’espace pour le passage des forets. L’implant est toujours placé à l’extérieur de la membrane mais plus ou moins à l’intérieur de la cavité osseuse sinusienne selon la forme de la paroi externe du sinus.
Dans la technique extra maxillaire les questionnaires de satisfaction remplis par les patients en termes d’esthétique de phonétique, de mastication et de confort ont des scores très élevés.

Conclusion

Dans une approche centrée sur le patient, il est vertueux de proposer des alternatives aux protocoles invasifs tels que les greffes osseuses, surtout lorsqu’un nombre plus limité d’implants peut offrir le même résultat fiable à long terme.
Les avantages et inconvénients des traitements invasifs et moins invasifs doivent être discutés avec le patient tout en portant une considération importante aux objectifs de satisfaction et de qualité de vie du patient.
En appliquant une dentisterie fondée sur les valeurs, on cessera ces débats menés au nom de « la science » (faut-il extraire ou conserver cette dent ? quel praticien garde et lequel extrait ? faut-il greffer ?), pour se concentrer sur l’essentiel : qui est l’individu sur lequel nous intervenons et qu’attend-il de nous et de la vie ?